#Culture du viol#Harcèlement de rue

« Hé mademoiselle ! » et harcèlement de rue

J’aime New York. Vraiment, j’adore cette ville. Malgré ça, je serai soulagée de repartir pour l’école à la fin du mois d’août. Fini les odeurs d’urine tiède dans le métro. Fini de se frayer un chemin à contre courant à travers la foule. Et surtout, fini d’être constamment harcelée dans la rue.

Ce n’est pas que le harcèlement de rue soit un problème plus grave à New York que dans d’autres grandes villes où il y a des gens plein les rues. Simplement, avant cet été, je n’avais encore jamais passé autant de temps à marcher seule dans ce genre d’endroit. Bien sûr, il m’est déjà arrivé d’être sifflée, apostrophée ou même tripotée dans la rue, mais jamais de manière aussi systématique. Depuis le temps que j’habite cette ville, il ne s’est pas écoulé un seul jour sans que je sois victime de harcèlement de rue en public au moins deux fois. Et j’ai vu des dizaines de femmes subir la même chose.

Nos vêtements n’ont aucune importance. J’ai vu des pervers interpeller des femmes en mini shorts ou en pantalons larges, des femmes en débardeurs ou en sweat-shirts. J’ai vu une femme juive hassidique, recouverte de la tête aux pieds et jusqu’aux poignets d’un vêtement flottant se faire appeler « sexy la daronne». Elle promenait son bébé dans une poussette.

Choisir mes vêtements le matin s’apparente à un conflit permanent entre ma volonté de ne pas laisser ces types exercer leur influence sur moi en me poussant à changer de tenue, et essayer de limiter les risques. Je peux porter cette minijupe, dans laquelle je me sens belle et sûre de moi, mais je ferais mieux d’enfiler un short de cycliste en dessous, parce que qu’une main baladeuse est vite arrivée dans un train bondé. Je peux relever mes cheveux, même si c’est plus facile d’attraper une queue de cheval, mais je ne peux pas porter de talons, au cas où je devrais m’enfuir en courant. Je peux écouter de la musique, mais en baissant le volume de mon casque afin d’entendre si quelqu’un arrive derrière moi.

Bien sûr, la plupart du temps, il s’agit de harcèlement verbal et non physique. Mais une femme seule n’est jamais trop prudente. Même le harcèlement verbal prend parfois des formes trop imagées et trop répugnantes pour être rapportées ici. En général, ça se résume à un pervers qui me lance des « jolies jambes » ou « tu cherches un mec ? », ou encore, celui que je déteste le plus : « hé mademoiselle ».

J’ai eu du mal à expliquer en quoi je trouvais « hé mademoiselle » plus insultant et plus inacceptable que bien d’autres commentaires, plus dégradants et plus explicites, que j’ai pu recevoir. Au final, je crois que c’est parce que « hé mademoiselle » n’a aucun but en soi. Quand, dans la rue, un type du genre prédateur me balance « jolis nichons », il attend de moi que je m’approche pour le laisser tripoter mes seins. Quand il hurle « tu veux pas que je sois ton mec pour ce soir ? », il s’attend à ce que je lui réponde « ça serait génial » et que je lui donne mon numéro de téléphone, ou que je lui propose une faveur sexuelle, voire les deux. Quand il me crie « hé mademoiselle », il n’attend aucune réaction de ma part.

Le problème, ce ne sont pas les mots eux-mêmes, c’est le message sous-jacent. Ça ne sert à rien qu’un gars me lance un « hé mademoiselle » par la fenêtre de sa voiture en me dépassant à toute vitesse. Même si j’étais attirée par les types louches et misogynes et que je tenais à lui donner mon numéro, je ne pourrais pas. La voiture n’a même pas ralenti. Mais ce n’est pas grave, parce que le type ne cherchait pas à me faire une proposition ou à me draguer. Son but, c’était de me rappeler, à moi comme à toutes les femmes, que c’est à eux qu’appartiennent nos corps, à leur regard, leur jugement, leurs commentaires et leur toucher. « Hé mademoiselle, t’es bonne» c’est la première partie d’une phrase qui se termine par « le patriarcat t’envoie ce message quotidien pour te rappeler que ton corps est une propriété publique ». Ce harcèlement sexuel soi-disant « mineur » est le prix à payer pour les femmes qui osent exister en public.

« Hé mademoiselle », c’est ce caissier qui touche ta main un tout petit peu trop longtemps et te lance un clin d’œil quand il te rend la monnaie. « Hé mademoiselle », c’est ce type qui s’assoit un tout petit peu trop près de toi dans le métro, alors qu’il y a plein d’autres places libres. « Hé mademoiselle », c’est ce gars au café qui insiste pour discuter avec toi, même si tu réponds par monosyllabes, les yeux ostensiblement rivés à ton livre ou ton téléphone. « Hé mademoiselle », c’est trop subtil pour pouvoir s’en plaindre. Quand on ose, les hommes répondent qu’on en fait tout un plat, qu’on est sacrément prétentieuse, ou bien qu’ils seraient ravis qu’une belle femme leur dise « hé mon mignon ». Mais ils ne se rendent pas compte que ce n’est pas ton premier « hé mademoiselle » de la journée. Hier, ce type au bar a passé la main dans ton dos, et quand tu t’es retournée, il a levé le pouce et souri, signe qu’il approuve ton corps et ton existence. Deux jours avant, tu as surpris un collègue de travail qui lorgnait sans honte sur ton décolleté. La semaine dernière, un type dans le bus est resté serré contre toi, son sexe collé à tes fesses, et même si le bus était franchement bondé, ce n’était pas nécessaire et plutôt malhonnête.

Même le harcèlement de rue le plus « mineur » est une pièce de plus dans ta mosaïque mentale, mélange de peur, de méfiance et de vulnérabilité. Mises bout à bout, ces pièces forment l’image d’une violence à grande échelle, toujours à fleur de pensée. Evidemment, on ne peut pas comparer un type qui crie « hé mademoiselle, t’es bonne » à une agression sexuelle. Mais la culture qui donne à cet homme l’impression d’avoir le droit de commenter ton corps, ton existence publique en tant que femme, c’est la même culture qui donne aux hommes le sentiment d’avoir droit au sexe, y compris en ayant recours à la force. « Hé mademoiselle » est un symptôme de cette maladie que représente la culture du viol.

J’aime vraiment New-York. J’aimerais juste que New-York me foute la paix.

 

 

Article original : My First Name Ain’t Baby: ‘Hey Baby’ And Street Harrasment

Auteur : Liat Kaplan

Traduction : Morgane Rubbo

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