1 mars 2018
Fanfictions : perte de temps ou marque d’admiration ?
Par définition, les fanfictions sont dépourvues de véritables sources, ce qui rend leur historique et leur évolution difficiles à retracer. L’apparition du terme dans la culture populaire remonterait toutefois à 1939 ; il désignait alors, dans l’univers de la science-fiction, des récits produits par des amateurs, par opposition à ceux des professionnels. Aujourd’hui encore, on méprise les premiers, mais est-ce vraiment justifié ? On reproche surtout aux fanfictions d’altérer la perception d’un personnage, voire d’introduire une personne réelle dans l’histoire. Les fanfictions ont franchi le pas entre des textes sur des personnages purement fictifs, et des textes sur les acteurs associés aux œuvres de fiction originelles.
Fanfiction : passe-temps pour amateur ou « art véritable ».
Difficile de ne pas considérer les fanfictions comme une forme artistique valable : c’est pourtant bien ce qu’elles sont, selon les normes acceptées. Pourtant, ceux qui passent leur temps à écrire et jouer dans des mondes déjà existant, au lieu de créer le leur, sont toujours fortement stigmatisés. Le contraste est également marqué entre l’édition traditionnelle et l’auto-édition. L’art, sur de nombreux supports, est aujourd’hui plus accessible que jamais, et les fanfictions ne sont rien de plus qu’une excroissance de ce phénomène, vaguement étrange, et parfois un peu effrayant. Pas complètement inoffensives, les fanfictions servent surtout de refuge, de communauté pour tous ceux qui se sentent parfois isolés, géographiquement coupés de leurs passions.
Des archives pour rassembler les foules (de fans).
Nombre de ces œuvres sont rassemblées de manière organisée sur le site internet Archive of Our Own (Nos propres archives), plus communément appelé AO3. Crée en 2009, ce site regroupe à peu près tout ce qui a été écrit depuis.
Par bien des aspects, il reflète le meilleur et le pire d’internet, en même temps qu’il fournit un échantillon représentatif de la culture de communautés de fans toutes entières. Sur ce site se rassemblent des personnes qui partagent une même passion, peu importe leur métier ou leur position sociale. Cette concentration peut s’avérer bénéfique, mais peut aussi révéler ce que l’humanité a de plus extrême. Par essence, ce site peut devenir profondément addictif, au risque de provoquer l’isolation de ceux qui finissent par vivre par procuration. Ce travers est régulièrement associé à la culture propre des communautés de fans, mais il n’est pas universel, loin s’en faut. Les fanfictions ont par ailleurs la réputation d’être mal écrites et très peu professionnelles. Évidemment, pas besoin de chercher très loin rencontrer ce type de texte, mais le plus souvent, on trouve des histoires qui rivalisent avec les best-sellers qui remplissent les librairies aujourd’hui. Certaines sont même mieux écrites encore.
Il est d’ailleurs facile de faire le tri entre ces textes mal écrits et à la narration grossière, généralement lus par peu de gens, et les textes qui jouissent d’une véritable popularité auprès des fans, fruit d’un travail rigoureux, et qui sont quant à eux d’excellente facture. Les défis auxquels font face les fanfictions ne sont pas ceux de l’édition traditionnelle ou des grands médias. Le marché, c’est le consommateur, et la relation avec ce dernier n’est pas dictée par un quelconque pouvoir supérieur, ou un intermédiaire qui cherche à interpréter les tendances du marché.
Parfois, cela signe le déclin de certains auteurs de fanfictions, puisque les cycles de vie des textes considérés populaires sur internet sont susceptibles d’évoluer extrêmement rapidement. Néanmoins, le nombre d’heures passées à la rédaction d’une fanfiction n’est rien à côté des centaines, voire des milliers d’heures de travail à fournir pour publier un livre de manière traditionnelle. Si la plupart des livres issus de l’édition traditionnelle répondent à certains standards, la trilogie Cinquante nuances de Grey a par exemple réussi le grand saut entre la fanfiction et l’édition classique à succès.
Quand la série de livre a commencé à faire parler d’elle, on a beaucoup reproché à l’auteur E.L James d’avoir visiblement plagié la saga Twilight de Stéphanie Myer : les deux œuvres s’articulent en effet autour de structures parallèles. Pour beaucoup de lecteurs, l’impression de médiocrité créative laissée par ces critiques est toujours d’actualité, et c’est bien souvent à cela que se limite leur approche des fanfictions. Pourtant, ce phénomène culturel, aussi vaste et varié que le média qu’il imite, ne saurait se mesurer à l’aune de cette norme.
Le texte Something They Can Never Take Away, écrit par l’internaute a_mind_at_work et hébergé sur le site Archive Of Our Own est un parfait exemple de ce que peut être la fanfiction de qualité. Les personnages historiques de la pièce Hamilton y sont transposés à notre époque. George Washington est le père adoptif d’Alexander Hamilton, alors lycéen. Le récit, toujours en cours, compte plus de cinquante chapitres où se déploie une subtilité qui montre ce que devrait être les fanfiction, et ce qu’elles sont la plupart du temps.
Le côté obscur des fanfictions.
Quand les personnages sont fictifs ou historiques, les histoires rencontrent généralement un franc succès. Toutefois, comme mentionné plus haut, les récits qui mettent en scène de véritables personnes (RPF pour « real people fiction » en anglais) sont potentiellement plus controversés. Beaucoup de détracteurs avancent l’argument suivant : les personnes réelles sont réduites à des caricatures, des stéréotypes imaginés par les fans, et ces représentations problématiques ont tôt fait de s’étendre à la vraie vie. Nombreux sont ceux qui, rebutés, s’éloignent alors des communautés de fans. Les propos tenus dans des fanfictions ou sur la plateforme de microblogage Tumblr par exemple, peuvent être rapportés aux personnes représentées dans les fanfictions, ou bien être relayés sur Twitter, avec une portée beaucoup plus large. Si la ligne rouge de la déshumanisation est parfois franchie dans ces situations, c’est que la fanfiction est allée trop loin. Les communautés de fans offrent un espace où exprimer des opinions peu populaires ou subversives ; lorsque ces propos concernent des personnes fictives ou disparues depuis longtemps, c’est globalement inoffensif. Le problème surgit quand les fans enferment des personnes réelles dans des stéréotypes dangereux, qui sont ensuite portés à la connaissance de ces personnes, souvent de manière publique ou bien via leurs comptes sur les réseaux sociaux.
Résultat chez les fans : un périlleux mélange d’idolâtrie et de certitude que la vie privée d’autres personnes leur appartient. En résumé, la fiction qui met en scène des personnes réelles n’est dangereuse que si elle interfère avec la vraie vie de ces personnes. Bien sûr, l’intimité des célébrités est souvent mise à mal, mais ces fanfictions et les stéréotypes qu’elles véhiculent ont parfois des conséquences désastreuses sur les personnes dont il est question dans ces écrits. C’est pourquoi certains acteurs et actrices tournant dans des productions qui comptent de nombreux fans se tiennent à l’écart des réseaux sociaux, voire refusent toute interaction avec leurs fans. Si la contre culture propre aux fanfictions en rebute certains, il s’agit dans l’ensemble d’amateurs passionnés qui prennent plaisir à inventer de nouvelles aventures à leurs personnages préférés. Impossible de définir la véritable portée des fanfictions ; mais à en juger par le grand nombre de fans qui en produisent, chacun trouvera sûrement chaussure à son pied. Certains professeurs de littérature anglaise s’en sont même servi afin que leurs élèves puissent mieux s’identifier à des personnages de textes dont la personnalité est souvent difficile à comprendre aujourd’hui. Les fanfictions peuvent aussi jouer le rôle d’intermédiaire entre les lectures obligatoires d’ouvrages classiques, et les élèves qui rechignent souvent à la tâche.
Si on accepte de concevoir que le monde d’aujourd’hui, internet et les communautés qu’il fédère permettent à l’art d’évoluer sous de nouvelles formes, alors les fanfictions méritent qu’on leur offre une deuxième chance, sans préjugés.
Article original : Fanfictions – Delusions or Expression of Admiration publié par The Artifice
Auteur : Talorelien
Traduction : Morgane Rubbo
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